Zoom sur un point de la reforme du droit des successions de 2018 : le principe de la réserve en valeur

Impacts direct sur les testaments rédigés avant 2018

La réforme du droit des successions concrétisée par les lois des 31 juillet 2017 et 22 juillet 2018 a notamment opéré un changement quant aux modalités concrètes d’application de la réserve héréditaire. Alors que notre droit successoral était, avant la réforme, gouverné par le principe de la réserve en nature, c’est désormais le principe de la réserve en valeur qui est instauré. Si cela peut à première vue paraitre anodin et purement théorique, l’on se rend compte, quatre ans après la réforme, que cette modification a de réels impacts en pratique, lesquels doivent être bien compris du défunt (lorsqu’il rédige son testament) et de ses héritiers. Si vous avez rédigé votre testament avant l’entrée en vigueur de la réforme (soit avant 2018), ce que vous pensiez voir s’appliquer à votre décès pourrait être bouleversé par ces nouvelles règles. Il convient donc d’avoir pleinement conscience des impacts de la réforme, quitte à modifier votre testament rédigé antérieurement.

Contexte : qu’est-ce que la réserve héréditaire ?

Certains types d’héritiers (que l’on appelle « héritiers réservataires ») ne peuvent pas être entièrement privés de leur héritage. Il y a une portion du patrimoine du défunt (que l’on appelle « réserve héréditaire ») qu’ils devront en tout état de cause recueillir.

Les héritiers réservataires sont :

  • Les enfants du défunt qui ont en tout état de cause droit, ensemble, à la moitié du patrimoine de leur parent ;
  • Le conjoint survivant (veuf ou veuve, et non pas cohabitant légal ou partenaire de fait).

Si le défunt a des enfants, il devra donc obligatoirement leur laisser au moins la moitié de son patrimoine à son décès, de même qu’il devra laisser une part déterminée à son conjoint. S’il n’a pas respecté cette réserve héréditaire (par exemple, si dans son testament il laisse l’intégralité de ses biens à une autre personne que ses enfants), ceux-ci pourront réclamer la réduction des libéralités (donations du vivant ou par testament) qui excèdent leur réserve. La question que l’on se pose ici est de savoir comment s’opère concrètement cette réduction : doit-elle s’opérer en nature ou en valeur ?

Modalité de réduction : avant et après la réforme

Avant la réforme, le principe était la réserve en nature. Depuis la réforme, le législateur a inversé les choses, instituant pour principe la réserve en valeur (via le nouvel article 920 §2 C. civ. et le nouvel article 924 C. civ.), sous réserve de trois exceptions spécifiques.

Impact global de la réforme : juridiquement, qu’est-ce que cela change ?

Dans le cadre de la présente rédaction, dans un souci de simplicité et afin de cibler le cas le plus fréquent en pratique, nous retiendrons l’hypothèse où le défunt a, par son testament, favorisé son époux/épouse par rapport à ses enfants par le biais d’un legs universel en faveur du conjoint survivant (ce qui revient à laisser tout son patrimoine à son époux/épouse). Dans pareil cas, les enfants du défunt peuvent faire valoir leur réserve héréditaire en réclamant la réduction du legs fait au profit du conjoint survivant. Etant entendu que, contrairement à ce qui était de mise avant la réforme, leur réserve sera désormais par principe en valeur. Cette réduction en valeur a pour conséquence que les enfants ne peuvent plus prétendre qu’à une simple créance à l’égard du conjoint survivant (que l’on appelle désormais créance d’indemnisation) là où il disposait, avant la réforme, d’un véritable droit réel (droit de (nue-) propriété) sur les biens de la successions. Donc :


Avant la réforme (réduction en nature) : les enfants qui invoquaient leur réserve héréditaire disposaient d’un droit réel sur la succession ; droit de (nue-) propriété sur les biens de la succession.
Depuis la réforme (réduction en valeur) : les enfants qui invoquent leur réserve héréditaire ne disposent plus que d’un simple droit de créance à l’égard du conjoint survivant. Ils perdent tout droit en nature dans la succession.

Impacts concrets de la réforme : concrètement, dans la pratique, qu’est-ce que cela change ?

De façon générale, cela vient considérablement réduire la consistance des droits réservataires des enfants du défunt puisqu’un simple droit de créance (dont ils disposent depuis la réforme) emporte beaucoup moins de pouvoir qu’un droit réel (dont ils disposaient avant la réforme). D’un point de vue pratique, nous pouvons notamment répertorier les impacts suivants :

Impact concret : le conjoint survivant gratifié d’un legs universel est le seul propriétaire des biens composant la succession du défunt

Ce qui veut dire qu’il peut les gérer et en disposer comme bon lui semble, sans avoir à recueillir l’avis des enfants ou même à leur rendre des comptes (par exemple, il peut tout à fait décider, à lui seul, de mettre en vente tel bien pour tel prix ou encore d’en faire donation à telle ou telle personne).

Impact moral : les enfants ne détiennent aucun droit en nature sur la succession

Ce qui veut dire que les enfants seront sans droit de recueillir le moindre souvenir de famille ou de participer à la gestion du patrimoine familial que leurs parents ont mis des années à constituer. Du point de vue humain, cela peut induire une perte de légitimité morale pour les enfants.

Impact juridique : saisine héréditaire

Juridiquement parlant, la saisine héréditaire appartient exclusivement au conjoint survivant gratifié du legs universel. Il est donc le seul et unique à pouvoir prendre possession des biens successoraux.

Impact procédural : absence d’indivision et impossibilité de recourir à la procédure de liquidation-partage judiciaire

Dès lors que le conjoint survivant est le seul propriétaire des biens de la succession, il n’existe aucune indivision entre lui et les enfants du défunt. Or, à défaut d’indivision, il n’y a évidemment pas matière à partage. Ce qui implique qu’il n’est pas possible d’introduire une action en partage (sur base des articles 815 C. civ. et 1207 C. jud.) en vue de voir la liquidation partage judiciaire ordonnée et un Notaire liquidateur désigné. Or, faire ordonner la liquidation-partage judiciaire est un moyen particulièrement aidant et parfois indispensable pour faire avancer les dossiers où des conflits naissent entre les différents héritiers, s’agissant d’une procédure judiciarisée et particulièrement cadrée.

En l’espèce, si un conflit surgit entre le conjoint survivant et les enfants quant au quantum de la créance d’indemnisation, les enfants seront privés de cette procédure pourtant pensée et adaptée aux liquidations de succession. Tout au plus pourront-ils solliciter de Juge qu’il désigne un Notaire en qualité d’expert (sur la base de l’article 962 du Code judiciaire). Ainsi, le Notaire ainsi désigné rendrait un rapport d’expert dans le cadre duquel il donnerait son avis technique sur la composition de la masse, et sur le calcul de la réserve et de l’indemnité de réduction. Les parties concluraient après l’expertise et le juge trancherait. Nous sommes donc bien loin du cadre d’une véritable procédure de liquidation-partage dont les contours sont précisément adaptés aux besoins des liquidations notamment successorales.

Impact quant aux garanties d’exécution : pas de protection spécifique de l’indemnité de réduction

Comme déjà précisé, dès lors qu’il est seul propriétaire des biens de la succession, le conjoint survivant gratifié d’un legs universel peut disposer comme il l’entend du patrimoine du défunt, sans que les enfants n’aient leur mot à dire. Se pose alors la question de savoir quelle garantie d’exécution les enfants peuvent avoir quant au paiement de leur créance d’indemnisation : comment contrer le conjoint survivant qui disposerait des biens de la succession aux dépens des enfants (par exemple en dilapidant le patrimoine du défunt sans se préserver suffisamment d’actifs pour désintéresser les enfants de leur créance d’indemnisation, se rendant ainsi insolvable) ? Malheureusement, les enfants ne peuvent se tourner que vers le droits commun des obligations et des mesures conservatoires (à défaut de disposer de mécanismes propres à leur situation), savoir notamment :

  • La mise sous scellée ;
  • La saisie conservatoire ;
  • L’action oblique permettant d’agir, à la place du conjoint survivant, contre les débiteurs du défunt ;
  • Etc…

Comment savoir si cette question me concerne ?

Concrètement, il convient de s’intéresser à cette question principalement si vous êtes dans l’un des cas de figure suivants :

  • Vous avez rédigé un testament par lequel vous consentez un legs universel à l’un de vos héritiers, en présence d’autres héritiers réservataires (par exemple, vous laissez tout à votre époux alors que vous avez des enfants ; ou vous laissez tout à l’un de vos enfants, alors que vous en avez d’autre et/ou que vous êtes marié).
  • Si vous envisagez de rédiger un tel testament qui instituerait l’un de vos héritier légataire universel, en présence d’héritiers réservataires.
  • Si votre parent ou votre époux/épouse est décédé en laissant un testament par lequel il institue l’un des héritiers légataire universel.

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